Comme Ulysse se présentant au cyclope sous le nom de Personne,
le poète n'est il pas en train de se dissimuler derrière la machine ?
Car dans cette affaire l'auteur n'a pas disparu.
Dans le dispositif de "Trois mythologies et un poète aveugle",
on prend soin de placer l'auteur sur la même scène que les textes
produits par la machine. Il les cautionne, sans revendiquer un
texte précis, mais un univers de textes possibles.
Le rôle de l'écrivain est dès lors transformé. Débarrassé de la
contrainte de faire dans le réel il devient concepteur d'univers
qui sont eux-mêmes générateurs potentiels de textes .
Il semble donc que tout le dispositif de "trois mythologies et
un poète aveugle" ait pour but de bien montrer cette nouvelle
place revendiquée par l'auteur dans la génération de textes.
Car il est bien clair qu'une machine, "le poète aveugle", n'ayant
aucune expérience du monde ne peut produire du sens que par le
truchement d'un être humain. Le rôle de la machine est donc purement
formel. Il s'agit d'un agencement d'une vision du monde qui lui
est donnée par l'auteur. La disparition de l'auteur n'est donc
pas à l'ordre du jour dans cette perspective, et la performance
en direct de l'écriture de textes ou de musiques par les ordinateurs
ne signifie aucunement le suicide public des auteurs. Reste cependant
une ambiguïté. Qu'est-ce qui pousse ces auteurs qui sont tous
à la tête d'une oeuvre autonome à se prêter à cette expérimentation ?
Quelle est la promesse faite par ce dispositif qui les pousse
à abandonner le contrôle sur la forme finale de leur texte ?
Jean-Pierre Balpe : "Je suis de plus en plus intéressé par l'idée
que ce que l'artiste est amené à livrer au public ce n'est pas
un produit achevé mais des possibilités de produits achevés."
..."Et moi, ce qui m'intéresse, c'est ça. On est à un niveau d'outil
jamais connu. Ça a toujours été comme ça dans l'histoire. Avant
qu'on invente la roue il n'y avait pas la roue...Et là on a des
outils qui atteignent le coeur de notre être. C'est à dire la
langue, l'expression... Jusque là les outils n'atteignaient pas
la langue, il faut bien le voir quand même. Il n'y a jamais eu
d'outil qui travaillait la langue. C'est formidable."