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Espen AARSETH

Ce que nous appelons " littérature informatisée " devrait plus précisément être appelé " littérature de cyborg " et requerirait pour cette raison un corpus critique et une terminologie dont les frontières seraient moins nettes entre
humain et machine, entre créatif et automatique, et entre intéressé et désintéressé.
La " littérature de cyborg ", en conséquence, peut être définie provisoirement comme étant des textes littéraires produits par une combinaison d'activités humaine et mécanique. En proposant une typologie provisoire des
"auteurs-cyborg ", j'espère encourager l'émergence d'une esthétique suffisamment nuancée pour considérer les récits des cyborgs comme une classe à part de textes, plutôt que comme des plagiats ratés de la " littérature humaine ".

Ambroise Barras

Combinatoire par définition, l'oeuvre d'art à l'ordinateur ne s'entend plus dès lors en référence à un original singulier et unique: «tout ce qui est fondé sur l'allégeance à l'original s'ébranle» (Berger 1972: 22). Sa légitimité et sa validité ne s'imposent qu'en référence à la seule série dont elle participe.

Qu'est-ce en effet que l'instanciation particulière d'un générateur automatique de textes? Par exemple, tel poème généré "en hommage à Jean Tardieu" de Jean-Pierre Balpe (1994), affiché sur l'écran d'un ordinateur qui vient à peine de le produire, ne s'apprécie en effet qu'en tant qu'il invalide l'instanciation qui le précédait à l'écran: il n'importe guère que par les variations dont il joue par rapport au poème précédant dans la série. Il ne vaut encore, évanoui de l'écran après trente secondes à peine d'affichage, qu'en tant qu'il s'est déjà offert à sa propre invalidation par l'instanciation prochaine d'un nouvel "hommage".

Dans leur série «sans incipit ni clôture» (Balpe 1995: 29), ces textes deviennent «simulacres indéfinis les uns des autres» (Baudrillard 1976: 85) Ils tendent à subtilement effacer leur sens propre devant celui de leur enchaînement. La fascination qu'ils exercent sur notre lecture tient peut-être alors davantage au rythme qui règle l'ordre de leur succession. Éléments discrets de la série, ces textes n'ont d'origine que dans la technique manipulatoire qui opère leur variation. En fin de compte, la lecture à l'écran du défilement des textes générés ne laisse aucun sentiment de perte: aussitôt un nouveau texte apparaît à l'écran. Lecture sans perte pour une production sans restes: la série, dans son abstraction, est entendue comme une entité parfaite, complète, suffisante. Fantasme de totalisation, le générateur, par la régularité systématique de son algorithme, contiendrait en soi tous les possibles, et capitaliserait la totalité du dire, la totalité du sens: «la force de la programmation est de permettre une prise en compte de l'infini.» (Balpe 1994a)

 

 

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