genèse du film
François Truffaut prétendait qu’il faisait du cinéma
pour rencontrer des actrices. Pour moi, faire des films documentaires est une
manière de trouver des complices, de rencontrer des êtres humains
remarquables.
Utiliser une caméra comme Diogène utilisait une chandelle en plein
jour pour « rechercher des hommes véritables ».
Or, l’expérience commune montre que les hommes véritables
sont souvent des femmes !
Ce film part à la recherche de ces femmes dans la science pour en montrer
la qualité, et rappeler que les obstacles qu’elles rencontrent
parfois parce qu’elles sont femmes sont désobligeants.
« Femmes de tête » a des origines multiples. En voici quelques
unes :
Flash back 1:
Pendant deux années j’ai réalisé
trente numéros d’Archimède, « le magazine scientifique
et technique d’Arte ». J’ai pu ainsi renouer avec une partie
ancienne de ma vie, celle où j’avais le temps de suivre attentivement
les évolutions de la recherche scientifique par pure curiosité et
parce qu’il me semblait qu’il était impossible de comprendre
notre époque sans ajouter à la familiarité avec le monde
économique une ouverture constante vers les avancées ou les errements
des connaissances. Retour donc à la science et aux hommes qui la font.
Flash back 2:
En réalisant une émission spéciale d’Archimède
sur les femmes et la science avec Vincent Gaullier, Catherine Garnier et Marina
Julienne, j’ai pu mesurer l’importance de l’injustice faite
aux chercheuses. Une enquête un peu plus poussée montre très
rapidement qu’il ne s’agit pas seulement d’une marque de plus
du sort souvent inégalitaire fait aux femmes dans le monde du travail,
mais aussi d’un formidable gâchis de la formation et des compétences
des femmes dans la recherche.
Autrement dit, cette situation est non seulement injuste, mais elle est aussi
socialement coûteuse.
Retour donc à la science et aux femmes qui la font.
Flash back 3:
En 2002 et 2003 j’ai pu rencontrer les scientifiques finalistes du Prix
Descartes de l’Union Européenne dans leurs pays respectifs. Ce
prix, richement doté, récompense les recherches des équipes
européennes les plus prometteuses dans tous les domaines. En 2002 une
femme, la physicienne Elisabeth Giacobino, figurait parmi les chefs de projets
finalistes. En 2003, deux femmes, Adriana Maggi et Nicole Dehant étaient
responsables de projets finalistes. La recherche de Nicole Dehant sur la mesure
des variations de l’inclinaison de l’axe de la Terre (sujet beaucoup
plus fondamental qu’on ne l’imagine puisque le guidage des satellites
et les systèmes GPS en dépendent) a gagné ce prix.
Flash back 4:
La rencontre avec Adriana Maggi à Bruxelles puis à Milan.
Adriana Maggi est une brillante biologiste. Après son doctorat passé
en Italie, elle est partie aux Usa où elle a commencé une recherche
sur les mécanismes d’action des oestrogènes, de manière
à contourner les difficultés liées aux traitements hormonaux
de substitution actuels de la ménopause.
Revenue en Italie, elle a su rechercher des financements pour créer le Centre
d’Excellence des Maladies Neurodégénératives de l’Université
de Milan en Italie, qu’elle dirige. C’est un laboratoire dont les
recherches sont l’objet de publications régulières dans
les grandes revues scientifiques de référence.
Les photographies placées sur un mur de son bureau lui servent de support
pour raconter cette histoire, de l’image de la cérémonie
de remise de ses diplômes américains aux rencontres avec les grands
noms de sa discipline avec lesquels elle fait maintenant jeu égal.
Adriana Maggi a su concilier vie de famille et recherche de haut niveau et sait
en parler avec humour. Mais elle connaît bien les difficultés supplémentaires
que doivent affronter les femmes dans la recherche. Son laboratoire est étonnamment
chaleureux, les nombreux thésards et thésardes y travaillent dans
un climat de bonne humeur rare. Les femmes y sont nombreuses.
Adriana fait souvent le voyage vers les Etats-Unis pour présenter ses
recherches.
Il est tentant de l’accompagner pour mesurer sa réussite.
Ce qu’Adriana Maggi revendique, c’est aussi un réexamen de
certaines catégories de la science. Elle explique par exemple que le
corps de la femme est un objet scientifique particulier qui devrait faire l’objet
d’une approche différente de celui de l’homme, ce qui permettrait
d’arriver plus vite à des résultats dans de nombreux champs
de la biologie. Elle dit aussi que ces nouvelles approches ne pourront vraiment
être menées à leur terme que si de nombreuses femmes sont
à la tête de laboratoires pour définir les recherches.
Flash back 5:
La rencontre avec Nicole Dewandre à Bruxelles.
Le combat pour la reconnaissance et l’augmentation de la contribution
des femmes à la recherche dans tous les domaines, est aussi celui de
Nicole Dewandre la responsable de l’unité Femmes et sciences à
la Commission Européenne.
Elle dit :
« L’excellence scientifique, qui est la mesure de tout le système
de promotion des scientifiques dans le monde, recouvre des anomalies dans la
perception de la qualité des travaux des chercheuses. Elles sont souvent
bloquées dans leur progression par des systèmes de cooptation
aux mains d’hommes qui, de manière consciente ou non selon les
cas, refusent de partager les avantages que procurent une reconnaissance scientifique.
»
Nicole Dewandre prononce ces paroles sans concession d’une voix toujours
douce et ferme. Elle est parmi les personnes les mieux placées pour mesurer
la perte que toute l’Europe subit du fait des difficultés que les
femmes rencontrent. Elle a été l’âme de la prise de
conscience au niveau européen de la nécessité de lancer
des actions concrètes pour essayer d’enrayer la fuite des cerveaux
féminins hors de la recherche.
« Femmes de tête » est une contribution à la prise
de conscience de ce problème à l’échelle européenne.
Ses moyens sont simples : rechercher ces femmes de science, mériter leur
confiance pour rendre explicites les conditions de leur travail de recherche,
les retrouver aussi en dehors du laboratoire.
Les images sont parlantes :
Les proportions d’hommes et de femmes varient selon les niveaux hiérarchiques
et cela se voit. Les photos de groupe sont dévastatrices dans leur dénonciation
de la rareté des femmes aux plus hauts niveaux de la hiérarchie
des institutions scientifiques.
Les classes scientifiques des lycées comprennent souvent plus de filles
que de garçons. Pourtant, comme le portrait d’un Dorian Gray qui
se transformerait pour montrer l’avenir, leurs photographies effacent
les visages de ceux qui abandonneront le domaine scientifique au cours de leur
vie. La proportion des femmes restantes diminue dramatiquement.
Le disque du Yin et du Yang de la science n’est pas équilibré
; du tuyau percé au plafond de verre, les métaphores ne manquent
pas pour décrire les mécanismes qui lèsent les femmes dans
les sciences.
Dans la recherche publique comme dans la recherche privée, et selon les
pays, les variations permettent aussi de faire parler les situations. Les annuaires
professionnels, les organigrammes des centres de recherche, les associations
ou organismes qui se donnent pour rôle de favoriser les réseaux
féminins dans la science sont autant de signes visibles de la prise de
conscience ou non du problème de la position et de la visibilité
des chercheuses.
Hervé Nisic
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