Télérama

La hauteur du silence

Documentaire d'Hervé Nisic (1995)

Pour les habitants de Sarajevo, le temps des mots est passé. Ils ne veulent plus des nôtres, baudruches gonflées aux droits de l'homme. Ils ne veulent plus nous donner les leurs : n'ont-ils pas assez crié, alerté, témoigné ? Ce film reprend, sur une longue durée, le principe du "Regard du silence" (chaque soir après le journal d'Arte, une minute de visages qui nous font face). Il plante son décor, natures mortes ciblées, faussement paisibles, vues de la ville éventrée. Et les visages, tant de visages, autant de gifles qui nous renvoient à la figure la passivité de nos dirigeants et la nôtre, de citoyens (mille manifestants pour dénoncer dans Paris le millième jour du siège de Sarajevo). Visages fatigués, hébétés ou graves. Ils sont battus mais pour une fois, nous dominent. Nous ne sommes plus les voyeurs de leur souffrance. Ils nous regardent, - beaux visages éclairés avec soin - et nous osons à peine les regarder. Fascinant retournement. Fascinante aussi, l'opacité du dispositif : qu'a demandé le réalisateur à ses "modèles" ? De penser tout bas ? Avec les yeux ? De penser à nous, destinataires de ces images ? Parfois une paupière se ferme, un regard se tourne vers l'intérieur. Les ponts sont rompus.

Bernard Corteggiani.

©télérama

retour aux autres critiques

retour au sommaire du dossier "La hauteur du silence"