LE FILM 100 TÊTES

Scénario original

Copyright Hervé Nisic, Jann Matlock

Des lueurs mouvantes et furtives font apparaître les détails d’un visage aux yeux fermés, aux traits légèrement bouffis. On ne distingue jamais la tête dans son ensemble.

La (couvert par un bip) a été le premier théâtre à annoncer sa fermeture cette année.

Quant aux spectateurs, ils n’ont rien eu à dire car ils ne payaient pas. il n’y avait pas d’abonnement, c’était le premier théâtre gratuit pour le peuple.

Et on nous dit qu’on le ferme.

Peuple, l’heure de la justice sociale n’est pas encore arrivée !

C’était en 1907, dans un article paru dans Le Magasin Pittoresque. Pierre Véron, le journaliste, protestait contre la fermeture de la Morgue de Paris au public !

Comme dans la scène décrite dans Thérèse Raquin de Zola, on allait en famille voir les corps exposés dans les vitrines de la Morgue.

On parcourt une gravure du 19ème siècle. La foule se presse en nombre devant de grandes vitrines

Travelling le long des colonnes d’un registre. Parfois la photographie d’une tête accompagne la courte description des circonstances qui ont amené le corps.

La fascination qui entraînait les foules parisiennes vers les cadavres de la Morgue ou qui faisait accourir aux exécutions publiques n’est-elle pas la même que celle qui rive aux écrans de la télévision les témoins complaisants des massacres du monde ?

Nuit. La tête en cire du début du film est maintenant éclairée par un gyrophare bleu.

Insert en fondu de

Vous arrive-t-il d’affronter votre propre violence, votre angoisse devant la mort ? Oui/Non ?

Utilisez-vous des images, des représentations qui vous la rendent soutenable ? Oui/Non ?

Ext Nuit. Un ruban de plastique, comme ceux qu’on utiliserait pour entourer une fouille

Il mène à un écriteau en bois sur lequel on lit :

Si oui, l'image capte-t-elle la violence en la représentant ?

Vieille histoire

Vieille préhistoire.

Et si je dis non ?

Les ciseaux coupent le ruban de plastique. Le panneau tombe.

Fondu sur

Une pierre seule luit faiblement dans la campagne

Des traînées de lumière qui crépitent

Les premiers crânes qu'on trouve, et bien ce sont des crânes ouvragés.

l'homme parle, et l'homme imagine la mort. Il découvre qu'il est mortel, il éprouve un effroi épouvantable, et devant cet effroi, il essaye d'apprivoiser la mort, sa propre mort, et la violence qu'il est capable de donner. Et comment il va apprivoiser cette violence là ?

Une tête celte en pierre tenue par les cheveux. Floue devient nette

Eh bien, il va s'acharner sur la tête. pour les embellir, et en même temps pour garder leurs marques sur ce qui nous échappe, et de cette manière là, apprivoiser l'invisible.

Ext/ Nuit paysage sombre à la tombée de la nuit un arbre seul

enchaîné sur

Travelling avant sur une tête celte en pierre tenue par les cheveux.

parce que le fait de représenter, d'entrer dans le détail d'une tête qui meurt, dans le détail d'une main qui se pose dessus, c'est une manière de purifier la violence en soi, et de dire bien, il y a eu la violence, je suis être humain porteur de cette violence, mais je suis aussi capable de la tamiser, de l'écluser

Int/Jour. Une main de femme tient un livre "Méduse".

On lit

Trophées de guerre ou épouvantails à ennemis?

Je me demande…

La violence des décapitations des Celtes

est-elle vraiment soluble dans la scultpure ?

C'est formidable les têtes coupées tombées des statues.

La main arrache la page qui vient d’être lue.

TGP sur les inscriptions

Image du seigneur sur un linge.

Très lent zoom avant sur l’image de l’icône de la Sainte Face.

Sur l’icône de la Sainte Face de Laon, l’empreinte légendaire de la face du Christ paraît comme décapitée ; sans épaule ni cou, on peut oublier le corps.

En vérité, une icône ne se regarde pas, elle s’embrasse, elle s’absorbe, elle se vit : elle engendre un monde invisible dans ses tracés visibles.

Elle ne copie pas le monde extérieur; elle ne le représente même pas. Elle inscrit la présence d’une expérience religieuse; elle fait voir Dieu.

Une icône est faite de découpages, c'est de l'écriture presque, c'est du graphique et peut-être du fait d'avoir été élevée à l'ombre de ces icônes, j'ai été sensible à cette force du trait