Le Brahmane du Komintern de Vladimir Léon

On ne dira jamais assez le bouleversement que peut occasionner la contemplation d’une vieille photo jaunie dans la vie d’un cinéaste !

Le choc, pour Vladimir Léon qui s’y connaît un peu par tradition familiale en sagas crypto communistes, fut de découvrir sur un vieux cliché, aux côtés de Lénine, Gorki, Boukharine, Zinoviev et autres dirigeants soviétiques plus ou moins connus des jeunes générations, un personnage exotique que sa haute stature n’a pas pourtant pas empêché d’être gommé de l’histoire du mouvement international : M.N.Roy.

Parti donc à la recherche de M.N.Roy, le film est un superbe hommage à la singularité, à l’originalité profonde d’un homme qui a su inscrire une trajectoire exceptionnelle dans l’histoire du mouvement internationaliste du XXe siècle.

Mais il montre aussi un réalisateur à l’obstination tranquille, à la détermination élégante, qui sait suivre les lignes de force d’une situation pour voyager loin en ménageant sa monture : en termes clairs, c’est un précis de réalisation où l’on comprend comment, à partir d’un véhicule fragile (auto-production, quelques soutiens précieux mais limités) et muni d’une obsession quasi météorologique à rendre compte de l’atmosphère des rencontres, on fait pivoter le monde autour de chaque homme et de chaque femme qui vous reçoit.

D’autant plus qu’on voyage sur les traces d’un homme surprenant, beau, brillant, audacieux et déterminé dont on découvre l’incroyable capacité à jouer un rôle dans le mouvement révolutionnaire du siècle. Qu’on en juge : bien qu’Indien et fils de brahmane, il représente au Komintern le Parti Communiste Mexicain qu’il a contribué à fonder quelques mois auparavant !

Il se fait une place non négligeable auprès de Lénine tout en gardant son indépendance de jugement : malgré les pressions, sa thèse sur la colonisation est maintenue à côté de celle de Lénine. Les scrupuleuses archives du Komintern, gardées par des mégères méfiantes, en témoignent. Staline au pouvoir, M.N.Roy s’envole à temps de Moscou et devient militant anti stalinien et anti nazi à Berlin, tout en gardant le contact avec des indépendantistes indiens.

Il repart en Inde, mais les Britanniques ne laissent pas passer l’occasion de neutraliser enfin cet agitateur anti colonialiste. Les années passées en prison lui permettent de parfaire sa formation et d’élaborer sa conception d’un humanisme athée. C’est le parti du Congrès de Gandhi qui donnera sa forme à l’Inde indépendante ; l’Humanisme Radical de M.N. Roy et le parti qu’il a créé sont marginalisés. Son généreux projet d’une Inde indépendante libérée de l’emprise des religions sombre avec la sécession du Pakistan.

M.N.Roy continue à publier le corps de sa doctrine humaniste, puis glisse doucement dans l’oubli que ses adversaires organisent. Les dernières traces de sa vie (une maison, de vieux compagnons de lutte), sont sur le point de disparaître mais, parce qu’il n’a pas lâché prise, Vladimir Léon est finalement arrivé à temps pour leur donner aussi la parole.

Les images du film sont belles, les témoignages sont vivants, le récit est calme, modeste, mais têtu. Il y a dans la démarche de Vladimir Léon une détermination solitaire, semblable à celle de M. N. Roy qui s’obstine à porter plus loin la flamme de l’humanisme, à hauteur d’homme justement.

Belle leçon politique et cinématographique à méditer en ces temps de médiocratie télévisuelle trépidante et de politique marchande…

Hervé Nisic

Sélection Incertains Regards, Etats généraux de Lussas 2006



Revue IMAGES documentaires n° 59 / 60
Vente en librairies, Abonnements :
Dif’Pop’, 21 ter rue Voltaire, 75011 Paris Tél. : 01 40 24 21 31

Email : difpop@globenet.org
site de la revue : www.imagesdocumentaires.fr

 

 

les autres films de Hervé Nisic Nos vies Les nouvelles du monde video art textes liens Pour contacter Hervé Nisic Zone accès restreint