LE THÉÂTRE DES OPÉRATIONS
De Benoît Rossel


« Tant que nous sommes là, c'est que la mort n'y est pas »

C'est un film clair, qui n'esquive pas son sujet.
Benoît Rossel, son réalisateur, opère avec la précision calculée d'un chirurgien pratiquant une incision sur une peau préparée. Ici, l'antiseptique est sonore, on en reparlera.

Le territoire du film, restreint et mystérieux, est interdit au profane. Comme un antropologue peut rendre compte d'une cérémonie secrète, le film nous fait pénétrer dans le lieu où pour chacun d'entre nous, un jour, peut se jouer notre vie, sans que nous puissions en être témoin. C'est avec des hommes aux visages masqués, aux gestes calculés, mais aux paroles étonnament simples en contraste avec l'instrumentation, les bruits, les lumières fonctionnelles d'un bloc opératoire, que nous passons un pacte. Quels en sont les termes ?

Le réalisateur s'offre en sujet d'expérience et prend en charge nos interrogations, appréhensions, doutes ou admirations. Il teste sur lui-même l'exposition aux différentes situations du film, sans détour, avec une douce insistance à affronter les questionnements les plus douloureux.

Pourtant, ce n'est pas l'angoisse qui étreint le spectateur tout au long du film. Et ici prend toute l'importance de la partition sonore composée par Karol Beffa. Dès les premiers instants, on l'a vu, la musique se donne pour mission de soutenir notre regard. Envelopante et rassurante, elle ne quitte pas cependant un mode grave, comme pour marquer l'enjeu des scènes. Comme la voix de Benoît Rossel, elle nous propose un chemin de crête entre crainte et espoir, sans pathos.

Et dans le ballet des blouses et des masques, Benoît Rossel trouve un chemin. C'est en accompagnant l'initiation de Nikos, apprenti chirurgien, que le film peut retourner le théâtre des opérations comme un gant et lui faire remonter le temps en dissequant le processus de construction d'un chirurgien.

Comme un métal s'endurcit de la forge à la trempe, les hommes et les femmes chirurgiens ont subi un long processus d'apprentissage, de mise à l'épreuve. Les rituels d'admission dans le corps des chirurgiens sont longs, leur succession rend impatient l'impétrant, les hiérarchies doivent être respectées, chaque étape validée, confortée. Il est nécessaire de s'assurer de la constance du désir de celui qui va avoir le privilège unique de franchir la barrière de l'apparence des corps et d'y travailler, et aussi, par la succession des tests et des examens, de protéger les malades d'une inexpérience malvenue.

En suivant l'initiation d'un jeune homme, entre notre propre appréhension sur le monde de la chirurgie et la sérénité d'un patron profondément lucide, le film réussit le pari de ne pas faire l'impasse sur la crudité des choses tout en nous maintenant solidement hors de portée de l'angoisse. Entre vertige, fascination et meccano du vivant, le film propose une incursion sensible et maîtrisée dans les coulisses du Théâtre des Opérations. Dont acte.

Hervé Nisic

*durée : 86 mn
site du film : www.letheatredesoperations.fr

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