LE PRINTEMPS DE SANT PONÇ

Documentaire – Espagne – 2007
Réalisation : Eugenia Mumenthaler et David Epinay.
Musique de Nicolas Brunner et Benoît Mayer






Longtemps après le dernier son et la dernière image de ce film, le spectateur reste empli de la dignité, la beauté calme, l’absolue sincérité et la grâce de ce qu’il vient de traverser.

Animation, anima, âme.

Ce "documentaire d'animation" réalisé à partir de dessins nés lors d'un atelier dans une institution d'aide aux personnes handicapées mentales ne cache pourtant rien de la violence des situations qui ont amené certains de ces patients dans ce lieu.

Quelques plans fixes, distribués au cours du film montrent une campagne verdoyante, une petite maison près des arbres, des chambres simples et propres, une table en plein air, une pièce avec une grande table, sans doute celle de l’atelier de dessin.

"On pourrait mettre de la musique pour le film, non, nos paroles, ce serait plus beau", dit une voix.

“Les deux,” répond le film.

Une douce musique de guitare prend le pouvoir sur le film. D’emblée la magie opère : un lent travelling latéral révèle des dessins sur un mur. Des gouttes de pluie s’échappent d’un dessin et glissent vers un autre comme sur les plumes d'un canard. Les éléments se libèrent du cadre du papier et vont contaminer ou réveiller les dessins suivants.

Aquarelle, trait, gouache, marker, le mélange des techniques utilisées par les patients pour leurs dessins semble donner le signal du déploiement d’une réjouissante variété de procédés d’animation. Ce travail d’une qualité rare est à la hauteur d’un maître de l’animation comme Youri Norstein.

Emotion : littéralement, ce qui nous met en mouvement. L’animation des dessins réalisée par David Epinay nous émeut et nous guide doucement mais sûrement vers des moments de pure apesanteur, où la beauté et la douceur du déploiement des images nous font mesurer la qualité particulière des récits parfois terribles que l’on entend. Ecrans et véhicules à la fois, les images à la détermination douce mais sans faille nous permettent d’aller au bout du récit d’une souffrance en adoptant le parti de la retenue.Car il s’agit d’accueillir l’autre dans sa dignité entière, de combattre ce mal qui nous guette, l’indifférence à la souffrance d’un autre.

Il y a comme une transfiguration à l’oeuvre dans ce projet. Alliant sensibilité et intelligence, le film nous propose de manière exemplaire une véritable réflexion sur le dessin vu comme un raccourci, un trait condensé, un lien direct vers l’informulé de la souffrance ou du récit d’une vie. Le travail d'animation, parfaitement respectueux, libère dans ce film un mouvement des images d'une absolue honnêteté.

La réussite de ce film, on le comprend, vient de sa légèreté décisive. Les dialogues directs, sans compromission, ne masquent pas la souffrance, mais les plaintes ne sont pas pour autant de mise.
Car l’humour n’est jamais bien loin. Et les patients dont on entend seulement la voix usent d’un langage direct souvent très drôle. L’auto dérision pointe son nez et permet de faire face à la cruauté de certains récits, tout comme la douceur des dessins répond à la dureté des destins.

"J'ai eu un peu de peine, j'ai fini par accepter d'être handicapée, mais pas d'être tenue pour inférieure aux autres,” dit une voix.

“Total respect,” répond le film.

En regard de l'épidémide douteuse de réenchanteurs auto proclamés du monde qui s'essaient à gonfler leurs vessies en espérant que nous les prendrons pour des lanternes, le film d’Eugenia Mumenthaler et David Epinay est d’une véritable merveille pour adultes consentants.

Hervé Nisic

Sélection Incertains Regards, Etats généraux de Lussas 2007



Revue IMAGES documentaires n° 63
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