« J’ai été frappée par l’histoire de Marie et Pierre Curie, où on pense que puisqu’on a reconnu Marie Curie, il suffisait qu’elle soit excellente. Mais s’il n’y avait pas eu le regard de Pierre Curie sur elle, sur son travail, on n’entendrait pas parler de Marie Curie, sauf dans les thèses féministes ».
Nicole Dewandre, Commission européenne, in
« Femmes de tête »
de Hervé Nisic et Marina Julienne
réalisé par Hervé Nisic
Voyage à travers l’Europe, à la rencontre de femmes scientifiques, « Femmes de tête » donne la parole à des mathématiciennes, physiciennes, biologistes, astrophysiciennes, toutes de haut niveau.
Pourquoi cette déperdition entre le nombre de femmes engagées dans des études scientifiques et le nombre de femmes chercheuses ? Pourquoi ensuite si peu de chercheuses aux postes stratégiques ?
Chaque témoignage apporte un éclairage. Christine Nüsslein Volhard, allemande, prix Nobel de biologie, raconte pourquoi elle aurait parfois préféré « être un homme » ; Silvana Vallerga, italienne, chercheuse en océanographie, s’est heurtée au « plafond de verre » , et a du faire un procès au centre national de la recherche italien pour faire reconnaître ses compétences ; deux biologistes suédoises ont enquêté des mois pour démontrer qu’une chercheuse devait être en moyenne deux fois et demie plus productive qu’un chercheur pour être évaluée au même niveau qu’un homme.
Pour Lucia Reining, physicienne à l’école Polytechnique, c’est à la société de s’interroger, et de repenser la place des hommes et des femmes dans l’organisation de la vie familiale et professionnelle. Rita Schultz, allemande, astrophysicienne, a aménagé sa vie en connaissance de cause : elle s’est installée aux Pays-Bas , -« car il est impossible pour une femme de faire carrière en Allemagne»-, et elle a passé un pacte avec son mari, astrophysicien également : « le premier qui obtient un poste laisse à l’autre le soin d’organiser la vie de famille.»
Anne Chantal Levasseur, française, spécialiste mondiale des comètes, estime qu’il est plus simple de comprendre la physique des comètes que d’agir pour la promotion des femmes en science. Et comme « elle n’est pas Don Quichotte »…
ou bien :
« Nous avons démontré qu’une chercheuse devait être en moyenne deux fois et demie plus productive qu’un chercheur pour être évaluée au même niveau qu’un homme ». Agnès Wold et Christine Wenneras, deux biologistes suédoises, ont publié leur étude en 1997 dans la revue Nature, LA référence en terme de publications scientifiques.
De Londres à Göteborg (Suède), de Tübingen (Allemagne) à Milan, les femmes scientifiques, astrophysiciennes, mathématiciennes, biologistes, physiciennes rencontrées pour ce film ont toutes été marquées par cette étude. Parce que ce qui était valable pour un établissement suédois pouvait s’appliquer à n’importe quel laboratoire de recherche de n’importe quel pays européen.
Julia Higgins, anglaise, professeur de science des polymères à l’Imperial College de Londres, raconte : « Quand je suis devenu professeur ici, j’ai augmenté de trente pour cent le nombre de professeurs femmes à l’Imperial College ! Le plus pathétique, c’est la solitude, le fait qu’il n’y ait pas de femmes avec qui parler, qu’on se sente trop visible».
Alors que les femmes sont de plus en plus nombreuses à choisir dès le lycée des filières scientifiques, alors qu’elles intègrent massivement les cursus universitaires, elles représentent moins de 30% des chercheurs européens. C’est le phénomène du « tuyau percé ».
Ene Erma, astrophysicienne, présidente du Parlement estonien, commente :
« construire des sociétés sur la base de la connaissance, c’est cela notre avenir. Si l’on gaspille le capital humain que sont les femmes il n’y aura pas de succès ».
Avec lucidité, mais sans rancune, ces chercheuses racontent comment elles vivent cette discrimination. Christine Nusslein Volhard, allemande, prix nobel de biologie :
« Il y avait certainement des moments, pendant ma carrière, où j’ai vivement souhaité d’être un homme, il faut le dire ».
Silvana Vallerga, italienne, directrice d’un centre de recherches en océanographie : « Tant qu’on fait du travail scientifique, il n'y a aucun problème. Ca change lorsqu’on commence à être impliqué dans des situations de gestion. C'est très subtil, car il n'y a pas de discrimination apparente. C'est le plafond de verre. On ne le voit pas, mais on lui rentre dedans. »
Quotas de postes réservés aux femmes, stratégies individuelles pour progresser coûte que coûte : comment lutter contre ce sexisme sournois ?
«C’est encore plus difficile que d’agir pour comprendre un point essentiel de la physique des comètes, estime Anne Chantal Levasseur, spécialiste mondiale des comètes. Comme je ne m’appelle pas Don Quichotte, je préfère continuer dans la physique cométaire ».
Rita Schutz, astrophysicienne, a passé il y a quelques années un pacte avec son mari, astrophysicien aussi : « Celui de nous deux qui le premier obtiendra un poste, le prendra, et l’autre verra comment maintenir unie la famille. »
« La question est trop focalisée sur les femmes, je pense qu’il faut quand même donner un message aussi aux hommes ! estime Lucia Reining, physicienne, médaille d’argent du CNRS. À la maison il y a rarement un équilibre entre homme et femme, Et c'est là où les femmes commencent à renoncer à certaines choses qui ensuite leur manquent dans leur carrière.».
La promotion des femmes, question d’organisation de la société, plutôt que question de femmes ?
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