retour aux films documentaires de Hervé Nisic

Une folie documentaire de Hervé Nisic

écrite par Michel Beretti et Hervé Nisic

photo-nuages

LA BEAUTE CRUE

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LETTRE A CEUX QUI ATTENDENT

Après tant d’années de voyages, repérages et enquêtes, le film se transforme.

Il se défait de sa gangue raisonneuse pour approcher l’épure d’une connaissance intuitive, d’une approche « rêveuse » qui correspond sans doute mieux à la « substantifique moëlle » de son objet : la reconnaissance par le monde de l’art de l’apport qu’à constitué la production artistique des malades mentaux.
Ce film va prendre son autonomie et résolument chercher une approche singulière grâce à
« la clé des champs » dont parlait André Breton, celle qui donne libre accès à la puissance créatrice de l’esprit libéré de la conscience du poids de la convention.

Projet documentaire dont la forme même va épouser l’objet, la force de jaillissement et d’envoûtement. Interrogations, réponses qui soulèvent de nouveaux questionnements. Le jeu des stimulations se poursuivra à la mesure du mystère qui a entouré le surgissement d’œuvres originales et fortes dans le lieu d’écart que la clinique de la Waldau a constitué.

Ecart mais aussi bouillonnement, entre recherche médicale pour entrouvrir l’accès au monde de la folie et bouleversements des codes de la représentation dans le monde de l’art.

Les artistes de la Waldau sont maintenant reconnus.

Adolf Wölfli à l’étourdissante puissance créatrice, multiple, foisonnante, délirante mais cohérente dans sa démesure. Les compositeurs contemporains comme le Danois Norgaard ou Terry Riley lui rendent hommage et reconnaissent la force de son message.

Anton Müller au mutisme étrange et aux machines célibataires, mais qui a trouvé une descendance dans l’œuvre de Tinguely, ce qu’une reconstitution en images de synthèse pourra rendre éclatant.

Les cahiers de Constance Berberat Swarzlin, merveilleux grimoires et terribles incursions dans l’interdit d’un esprit perdu entre obsession de l’ordre domestique, recettes et savoir-vivre, terreur et liberté graphique, semblent bien familiers aux visiteurs des musées d’art contemporains habitués à l’incorporation du texte dans les œuvres plastiques.

Les lieux mêmes, en partie conservés de la Waldau ancienne constituent autant d’invitations à faire ressurgir les images troublantes de l’énergie créatrice et des approches médicales de la folie.

Comment ne pas être tenté par un rapprochement entre les efforts du docteur Morgenthaler pour deviner les contours de la psyché dans la production graphique de ses patients, ceux de son collègue Rorschah utilisant une série d’images énigmatiques pour inventer un test psychologique encore utilisé de nos jours, et l’interrogation du monde de l’art devant la singularité de la production des hommes et des femmes enfermés dans des institutions psychiatriques comme la Waldau ?

La Collection de l’Art Brut a trouvé refuge à Lausanne par un juste retournement de l’histoire, car les visites de Dubuffet en Suisse et à la collection de Morgenthaler ont largement concouru a l’élaboration de sa vision d’un art renouvelé, en dehors des modèles institutionnels.

Dans la grande redistribution des cartes de la représentation effectuée par l’art moderne dans la première partie du vingtième siècle, les apports des images venues du monde asilaire ont joué un rôle certain.

A sa mesure, la collection de la Waldau en est un témoignage et le film veut en proposer une lecture sensible, musicale.
Une poésie du passage à l’image, un voyage croisé dans la mémoire de l’enfermement qui est aussi une libération par la création personnelle.

Bien sûr, les créateurs de la Waldau étaient pris dans leurs souffrances, et il n’y a dans ce film aucune nostalgie pour les méthodes thérapeutiques qu’ont leur a appliqué. Il y a simplement dans l’évocation libre des parentés et des filiations une attention à la permanence des stratégies de production de cette part infiniment mystérieuse de notre activité humaine qu’est la création artistique.

La leçon proposée par l’enfermement à la création, c’est le chemin de la libération. Les artistes partagent avec les anciens enfermés de la Waldau la recherche de nouvelles issues, de nouvelles réponses à la quête inassouvie d’une sortie du réel qui les entoure.

C’est ce que les poètes connaissent bien qui savent qu’on ne peut jamais les enfermer.

Ce projet propose donc un parcours parfois impressionniste, parfois extrêmement factuel, comme le partage de précision et d’obscurité qui tisse la matière des songes. L’inquiétante étrangeté des rêves dont parlait Sigmund Freud est ici apaisée en un cheminement sinueux et surprenant entre passé et présent, entre faits et hypothèses entre surface et profondeur.

Ce film ne se décrira pas avant de trouver sa forme finale. Il se profile cependant dans cette espérance de faire sentir le lien jamais rompu entre les tentatives des artistes de donner un sens au monde et les efforts des esprits tourmentés pour dessiner leur libération.

Hervé Nisic Janvier 2005