L'ordinateur écrivain
Beaucoup pourraient décrire de la même manière leur premier contact
avec les textes générés par ordinateur de "Un Roman Inachevé"
de Jean-Pierre Balpe.
Quand on leur annonce qu'ils vont lire un texte entièrement rédigé
par une machine, ils s'approchent de l'écran ou de la page, un
sourire vaguement condescendant aux lèvres. A la fin de leur lecture
un vertige immense les saisit. Est-ce vraiment la machine qui
vient de l'inventer sous leurs yeux ? Cela ne ressemble pas du
tout à un texte écrit par une machine.
Une page générée par "Un roman inachevé" de Jean-Pierre Balpe :
"Béatrice se souvient. Son souvenir est essentiellement linguistique...
elle ne se souvient ainsi que de peu de choses : elle n'est plus
tout à fait sûre d'avoir vécu. Divers mondes se mêlent dans son
esprit créant des confusions de plans et d'espaces : elle a le
cerveau plein d'indignations et de fureurs. Elle doit faire la
part des choses, il lui semble que sa tête est pleine de confusion,
de bruits, que le trouble absolu des événements qui l'entoure
perturbe sa faculté de penser normalement. Ici et ailleurs lui
sont la plupart du temps interchangeables. D'autres se roulent
dans le passé comme dans une fange lourde et infecte ; elle fouille
en vain son souvenir. Passé et présent lui composent un présent
unique, trouble, voilé. Quelque chose lui revient soudain en mémoire :
c'était une fin de matinée... Une scène plus précise que les autres :
dans une pièce blanche, peut-être en avril, un personnage au jean
déchiré... Il lui semble l'avoir déjà vu -elle ne parvient pas
à se souvenir où- pourtant ce personnage lui parait constituer
une menace. Comment savoir ce que chacun trouve au fond des yeux
de l'autre ?"
autre extrait généré par "Un roman inachevé":
"Elle s'éloigne. Des groupes se font, se défont au gré des conversations.
Elle parcourt lentement la salle du regard. Un homme d'un âge
peu définissable engloutit consciencieusement une infinité de
petits fours. Emmanuelle avait autrefois rencontré Marion dans
une soirée ennuyeuse d'une quelconque station balnéaire. Brutalement
un tankiste traverse la foule des personnages, quand il repère
un officier supérieur assis dans un fauteuil comme s'il s'ennuyait.
Il se dirige aussitôt vers lui. Il y a comme un bref échange de
regards. Il claque les talons, prononce quelques mots que personne
n'entend. L'officier suit rapidement le jeune soldat, comme s'il
s'était produit un événement grave. L'officier regarde au instant
la salle, prend un toast au caviar d'Iran sur la table du buffet,
puis comme s'il se souvenait de quelque chose à faire quitte l'Opéra.
Emmanuelle éprouve comme une sombre inquiétude. La multiplicité
des écrans vidéo..."
La génération de textes automatique par ordinateur a déjà une
histoire. On est passé des tentatives de production de textes
aléatoires des débuts comme celle de l'allemand Theo Lutz dès
1959, aux réponses troublantes de l'ordinateur psychanalyste Elisa
dans les années 1970, lui même devenu personnage dans le roman
de David Lodge "Small World".
Ce film se propose de créer un dispositif visuel et sonore qui
permette de dépasser la simple mais réelle fascination que peut
exercer la création d'un texte ou d'une musique par ordinateur
pour replacer cette expérience à la croisée des desseins des poètes
et des musiciens qui la mènent. |