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Explorations

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[Les machines prothèses]
[Les machines célibataires]
[Le simulacre : personne]


Les machines prothèses

La question de la génération externe, c'est à dire de la fabrication par un dispositif extérieur de tout ou partie d'un travail artistique a été au centre de ma pratique de vidéaste à la fin des années 1970 et au début des années 1980

Mes premiers dispositifs ont été élaborés en utilisant différents générateurs d'événements électroniques, puis de feed-back (systèmes en boucle d'interaction) en vidéo.

Dans les systèmes de génération d'images que j'ai employés à cette époque, les synthétiseurs d'images analogiques comme le Spectrum étaient utilisés pour modifier, dompter les émissions plus ou moins aléatoires des dispositifs vidéo.

Grâce à la dynamique et à la rapidité de réaction de la vidéo, ces dispositifs produisaient des images extrêmement mobiles et subtiles. Il fallait donc à ralentir et grossir les événements générés de manière à pouvoir les sélectionner et les donner à voir dans toute leur richesse, révélant de délicats drapés de lumière qui pouvaient néanmoins varier avec une nervosité virtuose.

Une interprétation était ensuite proposée au spectateur, essentiellement par les textes d'accompagnement ainsi que les éléments sonores.

 

C'est ainsi que sont nées des bandes comme :

"Métro"(1979), qui restitue l'atmosphère de foule se pressant sur les quais du métro parisien à partir des couleurs bleues des métros de l'époque et d'une ligne de parasites vidéo

"Attaque nuit"(1981) bande hommage aux combattants de la guerre de 14/18 terrés sous le feu d'artifice magnifique et létal d'un bombardement de nuit, réalisée à partir d'un amoncellement de moniteurs reliés en boucles de feed-back et filmés dans le noir

"Le message sidéral"(1982) restitution d'un enregistrement de message venant des étoiles recueilli par un puissant radiotélescope, réalisé à partir du bouclage de divers dispositifs de prise de vue générant des accidents, de petits cataclysmes électroniques

ainsi que la plupart des images du spectacle de vidéo-théâtre " Écrans noirs" présenté au Centre Georges Pompidou en 1982 dans le cadre des Écritures scéniques contemporaines, où les images de guerre, devenues décor d'un jeu de salon vidéo interactif proviennent d'une série de dispositifs générateurs d'images.

Les dispositifs de création d'images fonctionnaient alors comme des prothèses prolongeant et multipliant mes possibilités de production, me permettant de travailler seul à la réalisation de projets complexes. La machine était utilisée dans ce cas pour sa force de travail et aussi comme source de propositions formelles dynamiques. En 1990. j'avais détourné un logiciel de lecture de texte anglais par ordinateur en le forçant à lire des poèmes d'Apolinaire en français. Canal +, un moment d'accord pour diffuser ce travail (partie d'un ensemble plus vaste appelé "Le message d'amour"), ne l'avait finalement pas montré. L'interrogation centrale de ce dispositif reste entière. Lorsque le langage, la langue sont émis ou générés par une machine on touche à ce par quoi l'homme lui-même se définit.

Dans le numéro spécial de 1991 du magazine Art Press consacré aux artistes en relation avec les nouvelles technologies, j'avais publié "Le message d'amour électronique" un texte constitué d'un tissage entre des réflexions sur l'utilisation des machines et les rêveries de Gaston Bachelard.

"Le message d'amour électronique" extrait :

GB : L'imagination créatrice est une fonction de l'irréel. Analyser l'image dans son être, comme une petite folie expérimentale. Comment satisfaire le désir de tout retenir alors que tout s'écoule, alors que tout glisse vers l'oubli ?

HN : L'immatérialité de l'image électronique qui implique l'utilisation d'un appareillage pour la re-présenter est aussi un garant de sa malléabilité. Et s'il est vrai qu'elle doit abandonner tout véritable statut de "preuve" (à la limite, de preuve même de l'activité créatrice qui l'a engendrée), elle y gagne le statut d'un mythe qui demande à être constamment régénéré, nourri, réapproprié par les générations successives. Cette fragilité et cette grandeur potentielle, semblable au "clonage" des pagodes que Mishima exalte dans son roman "Le pavillon d'or", rend les images électroniques aussi précieuses que les enluminures des parchemins du Moyen-Age.

GB : Le même étang regarde inlassablement ceux qui le regardent.

HN : Il n'y a pas d'immobilité, rien que de la constance... On ne propose pas au spectateur une trajectoire définie mais un support de rêverie ou un espace de re-création où sa propre subjectivité devient le moteur de son mouvement par rapport à l'oeuvre.

GB : Organisateur de lumières et de matières contradictoires

HN : Le jeu avec le hasard, la construction de l'oeuvre par l'endiguement du déferlement des processus générateurs de formes, de rythmes, et de transformations, proposées par les dispositifs électroniques peut être considéré comme une simulation ou un simulacre de création. Transposition au niveau de l'activité de l'artiste du problème plus général de l'abstraction de la nature qui est la marque la plus caractéristique des sociétés industrielles contemporaines. Et en cela le travail des artistes avec l'électronique (et cela n'est pas une découverte !) révèle les fondements de la société dans laquelle ils vivent : telles les capitaux flottants de la finance, les images se détachent de la représentation de la nature, pour fluctuer aux vents de la subjectivité.

GB : Une musique qui s'adresse aux yeux, qui agrandit l'espace des intuitions visuelles

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[Les machines prothèses]
[Les machines célibataires]
[Le simulacre : personne]


Les machines célibataires

Puis vient la rencontre avec le travail de Jean-Pierre Balpe. A ce stade, l'ordinateur génère des textes, c'est à dire qu'en fonction de règles d'écriture données par avance, la machine est en mesure de produire des textes littéraires originaux.

Cette nouvelle étape est radicalement différente dans ses implications. Dans l'expérimentation de Balpe et Jacopo Baboni, l'investissement du créateur dans la machine elle-même est très important. Il s'agit de la programmer, de mettre au point des logiciels qui vont générer textes et musiques. La place de l'auteur a changé. On se trouve presque dans une situation d'installation-ordinateur assistée par un être humain.

Bien sûr comme dans les expérimentations précédentes, la rapidité et la nervosité des réactions sont des qualités recherchées pour ces productions. mais ce qui frappe avant tout, c'est l'insistance à faire en sorte que la production de la machine soit la plus proche possible d'une production humaine, qu'elle la simule, que l'ambiguïté soit totale.

Les textes et les musiques sont générées selon des règles de composition programmées, définies à priori, caractéristiques d'un style ou d'une manière "personnalisée". La machine devient un "auteur". Elle est présentée elle aussi comme un poète (aveugle certes, car n'ayant pas de représentation du monde), et dans ce sens elle est présentée comme une machine célibataire.

Les auteurs s'ingénient à brouiller les pistes dans leurs performances, mélangeant de manière indiscernable production de la machine, improvisation du poète ou du musicien, interaction des productions des machines entre elles.

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[Les machines prothèses]
[Les machines célibataires]
[Le simulacre : personne]


Le simulacre : personne

Avec le poète aveugle, nous nous trouvons face à la question centrale du simulacre, question largement posée par l'auteur américain de science fiction Philip K. Dick.

Le travail de Jean-Pierre Balpe et Jacopo Baboni en cours entraîne tout un flot d'émerveillements et de questions.

Ce film se propose d'en faire sentir la force et l'étrangeté, à sa manière, comme un documentaire plastique apportant avec son oeil de cyclope sa propre contribution à la fabrication d'une mythologie contemporaine.

Pour ma part, la question de savoir qui parle derrière la machine est moins naïve qu'il semble et elle me permet de revenir sur quelques années de production d'images à l'aide de prothèses. Comme la poésie est ancrée dans la langue avant tout, et se détache dans une certaine mesure du sens même, ces images se placent d'abord dans le monde des formes plastiques, en reléguant souvent au second plan la question de la représentation.

Pourtant, le lecteur comme le spectateur y installe souvent ses propres visions, plaçant derrière le mot ou l'image le visage de celui avec lequel il entretient secrètement une connivence, un auteur.

L'installation célèbre de Nam June Païk mettant face à face une statue du Bouddha et un moniteur de télévision affichant de la neige vidéo semble toujours poser une bonne question.